L'herbe aux aiguillages
A Jean, le nez sur la vitre de l'autorail
Madeleine, demain, tu descendras aux casernes
Voir ton petit chasseur derrière la passerelle
Lui glisser des mots d'amour malgré la sentinelle
Seuls les chats du quartier t'attendent à la poterne
Et les corbeaux, Madeleine, garnison de passage
La gare en négligé, de l'herbe aux aiguillages
La ville tire ses volets sauvons les apparences
C'est à vendre, Madeleine, aux provinces de France
Les soldats sont partis en comptant leurs médailles
Madeleine chaque jour tu reviens au portail
Tu revois la parade, le clairon ton amant
Où vont les régiments dissous au mauvais temps ?
Le costume trop large plus rien dans la bourriche
Les greffiers pleins de gale veillent sur la friche
Qui viendra consoler les usines en souffrance ?
C'est à vendre Madeleine aux provinces de France
Tous les soirs, Madeleine, tu lisais sur sa main
Dans la foule tous seuls au café chez Jasmin
Sa vie de tour du monde et qu'il trompait la mort
Tu l'aimais quelquefois à faire pâlir l'aurore
Mais la gare a gardé ses voies des grands voyages
Ce sont quais vides au vent sur les vies de garage
Les wagons, Madeleine, devant les abattoirs
Oublient depuis vingt ans les cris des chevillards
C'est à vendre Madeleine aux provinces de France
Les chasseurs en colonne ont tiré révérence
Le régiment parti, tes ombres à la caserne
Défilent dans le néant, tous les fanions en berne
Une grande colère a brisé les carreaux
Ton regard s'y blesse comme saignent les poings levés
Toutes les vitres cassées appelent le garrot
Rouge sang des colombes aux fenêtres brisées
Madeleine, petite, devant l'entrepôt noir
Il n'y a plus que les chats à conserver l'espoir
Et tes regrets, Madeleine, serrés sous le foulard
La gare a gardé ses bancs des grands départs
Je t'attendrai, je t'aime, à la correspondance
La caserne est à vendre aux provinces de France
Madeleine dans l'autorail tu voudrais le revoir
La micheline immobile se refuse au butoir
Je t'attendrai je t'aime à la correspondance
C'est à vendre Madeleine aux provinces de France
Les chats borgnes civils veillent sur les hangars
Tu relis Madeleine les mots qui vous séparent
Où filent enfin les rails quand on ne les suit pas ?
Et la dernière micheline qui ne partira pas
Madeleine je t'aime à la correspondance
Oh ! la plainte du train aux campagnes de France.
© Jean-Paul Raffel. 20 novembre 2011. G.