En retard de tant de mots
Que rien ne se nomme désormais
Certes tout peut se dire
Mais je ne vois que la surface
Les ombres voilent des rires
Qui valent toutes les parures
Le tissu est ordinaire
Les passants se ressemblent
C'est la fin d'une journée banale
Quel mot viendra l'animer ?
Peut-être l'aveu d'un désir
Les jeunes hommes invisibles
peuplent les squares
les gares, les jungles
En marche depuis toujours
Chaque chute les voit revenir
Pour vivre il faut partir
Ils partent
La nuit le jour n’ont d’autre sens
Cachette repos faux-départs
Retours
Les jeunes hommes invisibles
Bakhtawar, Aimal et Teri aux yeux noirs
ont une mère au pays
Le soir, le matin, la journée entière
Elle regarde la carte
En esprit
Où l’Amour, le Fragile, le Doux
Ont passé
Mon fils est ailleurs, mon fils est ici
La mère de Sharbaz
A la main sur son cœur
Elle sait que dans les stades
Ce n’est pas son enfant
qui fait lever la foule
les yeux sur l’arrivée
les yeux sur le vainqueur.
© JPR 05 août 2012
Tu viens remettre à l’endroit le poème
Ouvrir les volets, apporter des fruits et des rires
Tu viens changer l’ordre des mots
As-tu au passage salué le chien du voisin ?
As-tu touché la pierre grise ?
As-tu vu monter des fleurs d’aubépine
dans les branches du pommier ?
Tu viens changer la fin, changer le destin
As-tu senti la pluie près de l’étang ?
J’entends tes pas dans l’escalier
Dans un instant, je signerai ma lettre
J’y gardais de la chaleur avant l’hiver
Comment l’écrire sans perdre de temps ?
Tu viens remettre à la vie le poème
Allons tous deux saluer le chien.
© JPR 04 août 2012
J’avais un ami poète
Un ver blanc
Dans la farine de papier
Chaque matin à sa fenêtre
Il observait le ciel
Ami sincère
Jamais ne mentit d’un trait
Ciel bleu disait-il
Cela nuirait à ma nostalgie
Il tirait les volets
J’avais un ami poète
A l’abri de la lumière
Sombres desseins
Amours trahies
Endives
Champignons de Paris.
© jpr 2012
Tu joues avec les mots
D’autres au bonneteau
Laisse croire
Rien sous la coquille
Le passant repart délesté
ou pose son regard
dans le tien
Poète,
habitué des arnaques de trottoir
Tu lui donnes, ombre
Tu lui donnes, miroir
Tu laisses voir le temps
Il repart les yeux sur la main
Sans voir ton sourire
dans l’arrière-boutique.
© jpr 02 août 2012
Dans la brume, l’auto roule
Parfois surgissent mes mots
Transformés en réel
Ainsi le Thaurion
Le château à Pontarion
Le temps de me retourner
Les voici repris dans le rêve
J’aurais pu photographier
Ou retenir par cœur
Réciter leur poème inscrit
Parmi les autres
Il suffirait de savoir lire
Pour capter
La saveur écrite du paysage.
© jpr
Elle est peu profonde cette rivière
L’été m’aide bien
J’y laisse pendre la main
Glacé bientôt jusqu’à lui appartenir
Courir ainsi au creux des prairies est une évidence
J’emprunte à l’oiseau son opinion
Pour revoir ce devenir sans fin
Me voici l’eau sur les pierres
Celui qui la contemple
Sur le platier je suis la couleuvre
Enroulée à ton bras
Le corps d’écaille dont tu te réchauffes
Elle est profonde cette rivière
J’entends par son propos
Les murmures de l’eau, la Terre
Tous les enfants à naître et les marins chinois.
© JPR 31 juillet 2012
Malgré la vie nécessité
Qui de surcroit s’aveugle
Tu voulais voir
La nuit vient plus vite
Des ronces cernent tes yeux
Désormais, il faut oublier
Pense à Bologne, ces sombres murs
Nomme les décor
Ecoute les chants sans t’en effrayer
Oublie-les
Nomme-les, Berceuse de Järnefelt
Sans voir, sans savoir
Les murs entendent et te soutiennent
Alors la vie est une place vide ?
Tourne-toi vers l’odeur de pierre mouillée
Caresse sur la pierre le parfum du houblon
Tourne-toi vers le parfum, la framboise chaude
Entends sur le pavé l’aiguille, la passante
L’ombre cachait ses visages
Marche auprès d’elle
Au pas égal du temps.
© JPR 30 juillet 2012
Je veux voir.
Tu sais donc voir vraiment ?
Dans la pierre tu sais trouver l’eau et la lumière ?
Au chemin blanc de soleil,
l’ombre et la paix ?
Tu veux voir ?
Tourne ton regard
Vers le visage de l’ombre
Tu brises la pierre
Pour y chercher de l’eau
Tu blesses tes mains aux cailloux
pour une seule étincelle
Tu creuses le chemin
Il est semé de tombes
Tu craches dans l’eau boueuse devant les assoiffés
L’aveugle te montre la direction, il te faut une boussole
Et tu veux voir ?
Tu crois reconnaître Dieu, de dos
Et tu portes la main à son épaule
Tu veux voir, car tu veux espérer
Sais-tu que l’espérance est douce ?
Elle est douce. L’homme apprend à bercer
la femme qui attend un enfant
La femme s’abandonne au rêve de l’enfant
Ecoute, il chante doucement
Ecoute, elle chante doucement
Elle est douce comme chaque minute aujourd’hui
Douce comme ta dernière minute
Si tu sais l’entendre.
© JPR
Poème publié dans les Bordures du Champ secret
Les entendre tinter parmi les bavardages
Vertes avec un filet d’or
Me redonne la voix du récit
Conscience d’exister devant un café-calva
La plonge assourdit leurs chocs dans l’évier
Zinc.
Sur le comptoir, la soucoupe, elle est rouge
cette fois
Indique que j’ai payé
Face-à-face à l’entrée ils ont les yeux
d’une journée volée
des yeux d’hôtel de la gare
Lui à la cabine
Téléphone, s’excuse pour la fièvre
La fièvre et son bâton de rouge
L’attend
Tinter parmi les bavardages
C’est le fil du récit
Payé pour le café-calva
Payé pour le savoir
Leurs amours dureront une demi-saison
De la plonge parfois les tasses
Ressortent avec des éclats.
© JPR 28 juillet 2012
