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Poésie par la fenêtre

13 juillet 2013

Le pigeon (8)

Raconter, c’est restreindre, c’est resserrer. Pour les impatients on pourrait faire un envoi groupé, mais non. On va prendre l'été pour approcher de la vérité. C'est déjà une jolie performance. Pensez donc à tous ceux qui ont couru après toute leur vie. La vérité.

 Yorgos Kotsiras était un septuagénaire aisé avec bagouze sur tous les doigts et dents en or. Très cordial, très accueillant, très chaleureux et très gourmet. Une bonne tête d’agneau à la menthe ou de cochon tsatsiki, avec le sourire. Il regardait le plat, une belle femme à votre table, il embrassait la chevalière à son médium en laissant ses yeux pétiller. C’est lui qui choisissait la musique et faisait venir l’orchestre. Maintenant il est mort mort en petits bouts explosés.  Le problème avec les grenades offensives, c'est le désordre, après usage. 

-       Tu vois, Eli, fait Anna, le plus parfait de ces salauds garde le sourire en toutes circonstances et mieux même, le souvenir de ses tortures ou de ses trahisons en fait une sorte de survivant. Il a vécu des années dans l’horreur. C'était lui l'horreur, à peu-près. Il s’est sorti de là. Ses amis, ses femmes, ses chefs sont morts ou disparus. Lui, il tient un, deux, trois restaurants ou une épicerie fine ou juste une petite pension de l’armée. Il jouit de tous les moments. Ce Kotsiras a trainé autour de la prison de Korydallos dès son ouverture, en 1974. On raconte qu’il y avait ses entrées et ses protégées. Personne n’a l’idée ce que devenaient les nouveaux-nés si leurs mères disparaissaient. Personne n’a consolé les mères. Leur bébé était mort à la naissance, envolé. Kotsiras lui, il savait où partaient les bébés.

-       Et qui peut les retrouver ?

-       C’est toujours trop tard. Ce qui m’importe maintenant, avec Tolios et les autres, c’est comprendre comment on devient ça. Comment l’homme se dégrade jusqu’au pire et comment le pire n’est jamais atteint…

-       Mais les enfants ? Qui leur dira l’histoire ?

-       Je crois qu’ils savent. Cherche ton plus vieux souvenir. Tu as quel âge sur ta plus ancienne photo ? Cherche encore, avant…

-       Avant ? Je suis né à huit ans devant un accident de voiture. Une fille de mon âge criait sur l’autoroute. Elle appelait du secours. Elle savait que rien ne la sauverait. Elle serait seule toujours. Je pense à elle souvent. Sa mère était une forme sombre contre le béton de la route. Notre auto a avancé. Je suis né là.

Anna regarda vers les étages :

-       Mes compagnons se posent les mêmes questions à propos des salauds, mais eux sont nés très tôt, parce que leur père était emmené dans un camion militaire, parce qu’il fallait quitter la maison en pleine nuit, parce que quelqu’un leur serrait très fort la main en passant devant la caserne, en croisant la patrouille ou en entendant gueuler des ordres. Ceux qui tuent les Kotsiras leur volent des réponses.

Adrian nous avait rejoint au café. C’était un garçon très jeune, perpétuellement enjoué. Il semblait s’amuser de tout, même de vivre, même du sort de Kotsiras.

-       Kotsiras est mort sur le coup. La grenade l’a projeté en gros morceaux contre les murs, sûrement. Ceux qui ont fait ça savent s’y prendre. Peut-être qu’il est mort trop vite. Mais il en reste d’autres.

Derrière le bras qui tenait la carte de police, il y avait un inspecteur. Derrière l’inspecteur, un autre inspecteur et derrière l’autre inspecteur plusieurs policiers en civil. Avant ils était clients du café. Maintenant, ils faisaient la haie pour nous embarquer.

J’eus le temps d’apercevoir une petite file qui sortait de notre immeuble. Dans la file, il y avait tous nos amis. 

 

 

Bon, on a recyclé tout un café dans la police. Tout le monde est embarqué. Si j’étais Adrian, j’éviterais de sourire, l’inspecteur Bourras n’a pas une bonne tête et si, lui, il sourit, c’est en pensant à beurrer le marmot. Beurrer le marmot ?  Qui consoler avec des gifles ? Surtout si personne n’est triste. Aïe !

 

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11 juillet 2013

Le pigeon (7)

L’ouzo c’est bon sur les cartes postales et dans les souvenirs qui datent. L’ouzo de la veille, c’est l’odeur de l’anis et de l’alcool sur l’oreiller et dans les cheveux, plein la gorge et les poumons, comme un tabac qui empoisonne l’haleine. Froid, figé de mousse blanche au coin des lèvres. Tout est gris dans la pièce et je me prends les pieds dans un cendrier. Les autres dorment encore, certains sur les tapis ou sous la table. Il y a dans l’air ce qu’on respire au ras du sol dans un bistro à l’Est de Paris au point du jour à la fermeture, le mégot, la sueur les crachats, les rires, la tchatche d’après minuit, le vin collé sous les chaussures avec les papiers de sucre.

J’ouvre les rideaux puis la fenêtre. Le jour entre avec le boulevard, les voitures, les gens qui s’appellent ou qui s’engueulent. Il doit être 9 heures et j’ai mal à la tête.

Pas un mouvement chez les dormeurs, à peine un grognement à cause de l’air froid.

Hier soir à la Huchette, nous étions quatre. Anatolios avait rejoint le groupe un peu avant la nuit. Chacun dans son sac avait une bombe de peinture noire, une ou deux bouteilles à bière remplie de sang de cochon et diverses saloperies malodorantes.

La cible s’appelait Yorgos Kotsiras. On le trouvait au fond d’une gargotte vaguement hélène, du nom de Volupté, avec des filets de pêche et des gambas en guirlande, des cochons rôtis et des types à l’air content qui font l’article et poussent les touristes à l’intérieur.

Il fallait attirer l’attention sur celui que nous visions, avant de le dénoncer devant les tribunaux, partout où, la Loi, un juge et ses crimes pouvaient le faire interpeller.  

A l’Hêdonê[1], tout était normalement grec, même la musique. A l’instant où nous allions rentrer deux types ont fait irruption. Le premier s’est retourné et nous a fait signe de filer. Il avait un flingue à la main. Le second a fait deux pas dans le restaurant. L’instant d’après ils partaient en courant. Il y eut une détonation sourde avec une forte fumée blanche et noire. C’est alors que nous avons commencé à courir.  

 

Je sais, c'est ballot. On a du mal à entrer dans la page et une fois qu'on y est, c'est fini. Au moins, on est à Paris, c'est déjà ça. Mais le pigeon, la CIA, une grenade dans la volupté? Bah, on verra demain. 



[1] volupté

10 juillet 2013

Le pigeon (6)

Voilà, l’auteur reprend son ouvrage. Il sait qu’il emprunte de son existence aux Parques.

A la fin des fins, il est seul juge de l’existence ou non des gens qui bougent, s’aiment, respirent, jurent et meurent dans ses pages.

Est-ce que l’on sait quel est son niveau de tension s’il doit côtoyer des personnages difficiles, torturés, dangereux ou, selon ses critères personnels, absolument infréquentables ? Parfois, il leur fait subir des sévices. Qui sait s’ils ne viennent pas à leur tour le persécuter ? Pour cette raison, il est vaguement angoissé au moment de taper le premier mot. Il sait la fin de l’histoire et, franchement, il pense que tenir sur la durée, avec des héros débutants et des lecteurs à zapette, ça n’est pas coton.

Bon, dit l’un d’entre eux, on s’en fout, ce qu’on veut, c’est les Grecs !

 

Voilà. Ça se passe sur le front de mer, en plein été et en début de soirée. Les voitures sur l’avenue sont suffisamment brillantes, chromées, longues et décapotables pour que l’on sente une certaine aisance dans la ville. D’ailleurs, les bâtiments correspondent à cette idée, avec leurs balcons, leurs rotondes, les parasols sur les terrasses et des étoiles sur les hôtels qui tournent autour de gros tas d’oseille en forme d’hommes et de femmes fortunés. Des palmiers s’alignent sur deux rangs pour bien te dire –car les palmiers c’est cossu, que là, on est dans le vrai pognon, jusqu’au fond de la gueule, à pas pouvoir en fourrer deux ronds de plus dans les bajoues des rupins.

Deux hommes remontent l’avenue en longeant la mer. C’est étonnant, l’heure est à descendre du centre ville vers les bars qui clignotent plus à l’Ouest. La plupart des passants cheminent ainsi en suçant des glaces. Certains mangent les glaces, d’autres croquent dedans, mais la plupart les sucent. Ceci n’a aucune importance pour notre récit ou pour les rapports humains en général. Mais c’est un fait et nous tenons à la précision. La plupart des passants rejoignent les bars de l’Ouest. Les deux hommes vont à contre-courant et, si l’attention n’était pas attirée sur eux à l’instant, nous ne les remarquerions nullement. Sauf si l’on remarque les hommes jeunes et bruns avec des lunettes de soleil de marque. Ils vont devant eux sans se préoccuper l’un de l’autre, sans regarder les badauds et sans que les badauds les aperçoivent.

Plus haut, vers le marchand de glace Nanni, qui vend aussi de la guimauve molle et des pommes d’amour qui se reflètent dans les miroirs, il y a affluence, comme toujours. Nanni, il le fait tous les soirs, offre une glace à l’italienne aux femmes qui chantent en Italien. Il y a toujours une femme pour commencer à chanter et Nanni reprend le refrain.

Ça, c’est dans le récit. Si ce n’était pas le cas, il suffirait de faire marcher deux hommes jeunes et bruns vers le centre ville, sur des trottoirs vides. Face à la mer et semblant demander à être servis, il y aurait, un peu plus haut, un Américain de quarante-cinq ans environ, dans un costume clair, avec des yeux clairs et un sourire simple aux lèvres tendant la main comme pour donner de la monnaie. A ses côtés, une femme plus jeune, presque rousse, avec une jupe fluide qui marque la forme de sa cuisse. Elle désignerait à l’intention de sa petite fille l’endroit ou poser son regard. La petite fille y trouverait un grand plaisir et tendrait à son tour le doigt dans l’espace. Alors il vaut mieux remettre le décor. Face au front de mer, devant chez Nanni, il y a Robert Legrand qui achète des glaces et même si son nom semble européen, c’est bien celui d’un Américain. D’ailleurs, est-ce qu’on peut être le chef de la CIA si on n’est pas Américain ? Robert Legrand avec sa fille Lila et sa femme, Addison, la femme du chef de la CIA pour un pays méditerranéen et en vacances dans ce pays sucré et qu’elle découvre, la France.

Lila prend sa glace des mains de Nanni qui chante. Robert met la monnaie dans sa poche et la main sur l’épaule de sa femme. La foule se presse vers l’Ouest mais les deux hommes à lunette sont sans hâte. Ils sont à peine à trois mètres de Legrand. Ils avancent encore et dans le même mouvement sortent de leur dos de gros revolvers plats et froids qui hurlent en même temps et déchirent le corps de l’Américain.

Il y a le silence des passants. Seuls les deux hommes avancent encore tandis que Robert Legrand voit les palmiers se hausser, grandir pour l’écraser. Il fait entendre des cris précipités et qui s’étouffent. Le plus âgé des deux hommes saisit Lila et sa mère qu’il écarte de celui qui râle au sol, l’autre tire deux balles dans la tête du chef de la CIA.

Alors Addison Legrand redevient une personne. Tout se passe autour d’elle et de son cri. Le cri annonce la mort et reçoit l’onde de la mort, il reprend et s’éteint pour ressurgir aussitôt. Lila ne crie pas mais regarde. S’il fallait à nouveau écarter, la ville, les figurants, le décor, on verrait le corps sur le sol et les deux filles, la grande et la petite éperdument seules. Au même moment, les tueurs, il faut bien les appeler ainsi, sauteraient à l’arrière de motos qui les attendaient. Ce serait juste avant que toute la police de la côte, du département et bientôt du pays tout entier arrive avec les gyrophares, les ambulances et les officiels. On protègerait la scène du crime pleine de glace fondue et de débris de cornets mêlés à des flaques de sang. Tout se passerait deux minutes à peine avant que les télés du monde entier annoncent l’assassinat de Robert Legrand, chef de la CIA sous les yeux de sa femme Addison et de sa petite fille, en vacances en France.

 

 

Croyez-moi sur parole, l’idée même de l’exécution d’un homme me révolte. Je n’évoquerai donc pas de cause qui puisse l’expliquer. Mais on est loin désormais de la station Invalides et d’un pigeon plumé. Á plus tard.

 

 

 © jpr 10 juillet 2013

 

4 juillet 2013

Le pigeon (5)

Je vis au jour le jour – Qui sait ce que le lendemain nous réserve

Odysseus Elitis

 

Ecouter Angélique Ionatos dire et chanter I néfèli, c’est entendre Anna.

Pour parler en un temps chaotique il nous faut des munitions.

Pour ceux qui ne connaissent pas la voix de la chanteuse, c’est très particulier. Je ne peux pas leur expliquer autrement que par le son de l’eau qui se retire sur le sable et, je prends une image modeste, qui va bien pour un petit patelin comme ici : par la chaleur, la nuit, près du feu, sur la plage, et de se parler bas à l’oreille, en dansant serré aussi. Je vous dis que, Anna,  j’aurais pu l’aimer au premier regard, seulement, voilà, on n’est pas dans une histoire qui va très vite. Il va falloir attendre. Ceux qui s’ennuient sont déjà partis. Les autres patientent. Je ne veux punir personne, mais il faut qu’on parle : il  y a parmi vous des esprits critiques, qui me harcèlent à propos de détails, comme la couleur des espadrilles du jeune grec. Je ne pouvais pas vous demander de lui enfiler des santiags, pour le voir rouler du cul sur le boulevard, façon Macadam coboille, ou des doc martens dix yeux couleur yellow (pas du tout son genre), ou encore, et même Demis Roussos aurait l’air empêché là-dedans, des moon boots en gazon vert, poil synthétique,  ou pire encore, des spartiates  en pneu.

C’est vrai que l’époque n’est pas romantique, mais enfin, les lecteurs n’ont pas à se mêler du récit. C’est l’avantage de la web-écriture, on peut quitter. Tandis qu’avec un bouquin, va lui dire à l’auteur que des espadrilles bleues c’est pas la classe. Le bouquin, tu l’as payé, tu l’as !

Maintenant, je vais être obligé de faire un virage, pour revenir au récit.

Anatolios, on lui colle  une paire de chaussures en plastoque, noires avec fermeture éclair au-dessus, modèle indestructible, et pas chères les deux. J’en ai bien eu moi. Est-ce que ça m’a empêché d’être un héros de roman ? Non, et je peux le prouver.

Alors une deux, une deux, mon petit grec on avance. Je te plains : avec des pieds genre scaphandrier, ça sera pas pratique pour le sirtaki, mais voilà on n’est pas là pour s’amuser, il paraît. Encore une remarque comme ça et je ferme la boutique. Tout le monde habillé en kaki et on défile, les lecteurs avec. En avant la musique !

Anna a décidé que mon nom ce doit être Eli. J’accepte, juste pour rester près d’elle et pour connaître la suite.

On a un souci avec nos étudiants. Ils vont harceler les anciens de la junte. De temps en temps, ils sont embarqués par la police. Mais, pas une plainte, pas une main-courante qui les concerne. Moins ils sont poursuivis, plus ils continuent, plus ils s’approchent.

Plus ils s’approchent, mieux ils voient leurs adversaires. Réciproquement, les autres les voient. Ils ne sont pas tous sans défense.

Voilà pour aujourd’hui. Pardon pour le détour par le produit chaussant.

 

Les figurants, vous pouvez vous changer. Tolios, va mettre des mules  ou  desserre la fermeture en attendant demain, c’est pas du tout aéré, tes méduses. Je sais de quoi je parle.

 

3 juillet 2013

Le pigeon (4)

Ce fut une promenade joyeuse dans le XVIIIe, sans croiser grand monde, sauf aux abords de la mairie, près du métro Joffrin. Quelques fêtards. Ils avaient notre âge et des bouteilles de vin. Anatolios connaissait tout le monde et tout le monde, bien sûr connaissait Anatolios. Je n’ai pas fait de portrait, mais je sais que vous l’avez déjà entendu rire les yeux grands ouverts, le regard planté dans le vôtre. Je sais que vous l’avez déjà suivi en pensée sur un trottoir ou sortant d’un bus. Je sais, que négligeant sa tenue habituelle, vous lui avez enfilé un pull marin, un pantalon clair et que vous avez laissé ses pieds nus dans des espadrilles bleues. Vous avez autorisé votre main à jouer avec ses boucles noires et passé le doigt sur la cicatrice, au-dessus de son œil droit. Même ceux qui ne l’avaient pas fait le devinent peut-être mieux désormais. Maintenant, c’est vous qui voyez: un jeune Grec proche de la trentaine parmi d’autres jeunes gens.

Les autres, je n’en parle pas pour l’instant, ils viendront à leur tour et quand leur tour viendra. Anna peut-être ? Quelqu’un m’a dit que j’étais là pour elle. C’est peut-être vrai, mais je ne le sais pas encore. Si je le savais, cela m’irriterait. Cela voudrait dire que je ne peux pas voir une belle femme sans la désirer, et que je pourrais la désirer sans lui avoir jamais parlé. Bon, peut-être. Il faudrait que je l’ai approchée en pensée, elle marchant très vite et seule, entre les gens, les petits chiens, entre le kiosque et la marchande de journaux. Anna. C’est elle qui m’explique.

-       On se rassemble-là, place Marcel Aymé, mais aussi rue du Temple ou à Montparnasse, dans une impasse près du cimetière. On chante l’hymne, parfois on jette des cailloux sur des volets, de la peinture, du sang de porc ou de la merde à travers les fenêtres. On hurle au salaud et à l’assassin. On poste des lettres de menace à des hommes qui ne se plaindront pas. Parfois, on les suit jusqu’à leurs voitures aux pneus crevés et ils abandonnent leurs voitures, les éclats de vitres sur le siège du passager. C’est une histoire entre les Grecs vivants et les Grecs que ces hommes ont tué, comme une histoire de vengeance sans fin. Où qu’ils se trouvent, jusqu’à ce qu’ils se dénoncent ou se livrent à la police dans notre pays.

-       Et ils se dénoncent souvent ?

-       Jamais, mais nous les dénonçons. Nous rassemblons les preuves pour qu’ils soient condamnés. Les tout petits, petits tyrans ordinaires du temps des colonels.

Elle me parle encore longtemps de leur groupe d’étudiants et de leur loisir particulier, repérer et traquer ceux qui, dans la diaspora sont  soucieux de disparaître sans laisser de traces et qu’ils retrouvent, parfois par hasard, comme Akis Loliakos, qui vend des copies d’ancien sur la Butte et vit près du Passe-muraille, place Marcel Aymé.

-       Les sans-grades, les suiveurs, ceux qui obéissaient…

-       Tout l’appareil d’Etat alors, les fonctionnaires, leurs voisins et les amis ?

-       Non, poursuit-elle, seulement ceux qui y prenaient plaisir.

-       Ça n’est pas écrit sur le visage des tortionnaires.

-       Tu ne crois pas, Eli, que tout le monde le sait, ceux qui y prenaient plaisir ?

J’aimerais être au théâtre pour écrire : (il se tourne vers elle tandis qu’elle le nomme ainsi).

-       Je ne m’appelle pas Eli !

-       Ce sera ton nom maintenant.

(Elle insiste, ce sera son nom pendant toute l’histoire. Il sort une cigarette, elle l’allume. Rideau). 

 

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3 juillet 2013

Le pigeon (3)

J’ai été destinataire de courriels à propos de Fischia il vento. Certains auraient souhaité que je parle plutôt de  L’appel du Grand Lénine mais j’ai répondu qu’une chanson n’en remplace pas une autre. Ici, on n’est pas dans un juke-box pour nostalgiques des thèses d’avril. Cette nuit là, près de la statue du Passe-Muraille, j’ai entendu l’hymne du front de libération nationale grec. Pour les explications à propos de la musique, je préfère que vous vous documentiez seuls, sinon notre récit n’avancera pas. Disons que dans l’armée populaire de libération nationale, en Grèce, durant l’occupation allemande, chacun connaissait. Ce soir de juin 1989, ce fut pour moi une découverte de l’entendre. Je ne savais pas non plus à quel point les policiers sont efficaces quand ils veulent vous mettre la main dessus. En un coup de sifflet et quelques coups de triques, la trentaine de jeunes gens présents au sommet de l’escalier et autour de la place fut rassemblée au bas de la rue Norvins et grimpa, rue Girardon, dans les véhicules de la préfecture. J’en étais. Autour de moi, on parlait Grec, uniquement. Lorsque les camionnettes descendirent vers la place Clichy, tous se mirent à nouveau à chanter. J’avoue une tentation un peu minable, celle de tous les gens qui sont raflés avec d’autres, dont ils différent pensent-ils, par un détail. J’ai voulu crier :

-       Excusez-moi, je ne suis pas Grec !

Dans le J9, il y avait Anatolios et Anna, serrés l’un contre l’autre et qui me regardaient, alors je n’ai pas crié, mais j’ai eu honte tout de même pour en avoir eu l’idée.

Au poulailler, il y avait des flics en civil qui nous attendaient. De temps en temps, ils tiraient quelqu’un de la cage pour l’interroger. Le policier qui m’a reçu – je dis reçu mais je devrais dire accueilli, dans son bureau, m’a parlé doucement durant deux minutes et braillé dessus le reste du temps, soit deux minutes de plus environ. Puis il s’est tu. Lui et moi en silence on s’est regardés. Puis il m’a rendu mes papiers à la fin et sans explications, je me suis retrouvé à la rue avec tous les autres. Les Grecs ont discuté un moment devant le commissariat. Il pouvait être une heure du matin. J’hésitais sur le pavé comme quelqu’un à qui on vient de prendre deux plombes sans rien lui donner en échange, des excuses ou des explications, ou même les deux à la fois.  Anatolios m’a demandé, en Français, si je voulais les suivre, lui et ses amis. Il y avait aussi Anna. J’ai dit oui, en Grec, ou plutôt j’ai dit « nai eímai próthymos » et ils se sont mis à rire en répétant mes mots. « nai eímai próthymos » cela veut dire « je suis prêt », enfin je crois. J’aurais pu dire aussi bien je suis cuit, je suis cru, je suis un vrai couillon, vague souvenir d’Assimil un été en vacances du côté de Saint-Ouen. Apprendre le Grec à Saint-Ouen c’est comme s’initier au Breton par correspondance ; c’est long, peu précis et une fois sur place ça fait marrer les habitants. Mais j’étais prêt c’est vrai et il y avait Anna.

Alors qui saura pourquoi l’un savate un pigeon, les autres se rassemblent place Marcel Aymé nous rendra bien service. L’appel du Grand Lénine!,  c’est malin, maintenant j’ai cet air là dans la tête, je vais encore faire des rêves qui font froid aux pieds, si j’arrive à dormir.  

            http://www.youtube.com/watch?v=vmdldp6OgcI

 

 

1 juillet 2013

Le pigeon (2)

J’entends déjà les réclamations. Céki alors ? Ben si je vous le dis maintenant, il n’y a plus d’histoire. Il n’y a plus d’histoire ou alors ça commence. Ça commence tout à fait dans l’idée du noir et blanc, près de la statue du Passe-Muraille par Jean Marais, à Montmartre.

Le vrai Jean Marais, je l’ai rencontré à peu près à cette époque d’ailleurs,  pour lui poser diverses questions auxquelles il n’a pas répondu, mais j’étais encore assez impressionné pour n’avoir pas insisté. 1989, donc, on prend à peu-près le même décor, les mêmes têtes qu’aujourd’hui, en plus gamin, et pour certains, il faut bien le dire, en plus vivant. 1989, on change un peu la garde robe, c’est comme maintenant, mais avec des Mercedes 500 et des Fiat Tipo  sauf que les bagnoles, aujourd'hui, on s’en fout. Mauvaise pioche, si on veut: on ferait mieux de s’intéresser davantage aux autos, ça ferait moins de chômeurs. Enfin, c'est mon idée. 

C'était hier, pourtant. Mais qui se souvient du stade d’Hillsborough ou de la Marseillaise par Jessie Norman ?  Rien à voir vous me direz, que la foule. D’un côté la foule en panique, de l’autre la liesse de la foule. La foule, ce n’est pas comme les bisets. Les pigeons, quand il y en a un ou deux, on oublie ou on fait un détour, alors que la foule, c’est toujours nombreux, elle vous passe dessus, sauf si vous êtes dedans. Moi, faire partie de la foule n’a jamais été mon truc.

Maintenant, quand je me penche sur ces années, j’entends toujours la Norman, mais  c’est pour l’Ave Maria. Totale rédemption, apaisement.  Il faut bien pardonner, dites-moi. Vous ne pardonnez-jamais vous ? Ceki, la rencontre du métro ? Une histoire qui n’en finit pas et une qui commence. Pour ceux qui savent, il faut fredonner Fischia il vento et me suivre, pas à pas et hélas, pas seulement dans le métro…L'idée du noir et blanc parce que ça se passe la nuit et aussi à cause des policiers qui bloquent  l’accès à la place Marcel Aymé... 

 

30 juin 2013

Le pigeon

Pardon à vous qui passez chaque jour, aujourd’hui je suis monté avec deux bières pour fermer la Fenêtre Ouverte. Deux bières ; une pour la soif et l’autre pour le goût. Je ne ferai pas de pub pour la marque, la binouze de Mexico, pour ceux qui voient la buée sur le verre, c’est déjà la mémoire des papilles. J’en connais des amateurs qui filent au frigo avant de poursuivre leur lecture. Tant pis pour eux s’il est vide ou si l’épicemar a bouclé plus tôt que d’habitude ; la Fenêtre reviendra vers le 15 novembre, on trinquera à la ré-ouverture. 

Pourquoi arrêter maintenant, après plus de 400 poèmes postés par ici ?

D’abord, je veux relire…On ne sait jamais s’il s’agit de poésie ou de textes à la con. Ensuite, ça va me manquer, c’est sûr, mais depuis peu, quelque chose a changé.

 Sur la ligne 13 du métro, station Invalides, jeudi matin, avant sept heures, il y avait à l’autre bout du quai un pigeon. C’est un animal pour lequel j’éprouve essentiellement du dégoût, au point de retenir ma respiration lorsque je les croise. La place Saint-Michel en apnée, le Luxembourg à demi-poumons : ça s’envole, ça grouille, ça pue, ça crève et pourrit dans les recoins.

Celui-ci boitait sur un moignon de patte, handicapé consanguin ou blessé par un piège, ou écrasé dans le nid. Atroce bête. A  chaque pas, il semblait donner plusieurs coups de kick pour démarrer, sans succès. En revanche, il faisait le vide autour de lui, un large cercle. Les rares passants l’évitaient mais le tenaient à l’œil. Il est rare de voir l’un de ces affreux en sous-sol. Pigeon de quai, pigeon de trottoir, pigeon des touristes ou des vieilles à croûtes de pain, moi je n’aime que les oiseaux de plein ciel et je comprends ceux qui réclament l’éradication des colombidés dans la capitale. Mais, c’est important, je ne leur ferais pas de mal, jamais.

Je n’ai pas vu arriver le type dans mon dos et le pigeon non plus. Tout s’est passé au moment où le métro entrait dans la station. L’homme a shooté, un des ces gonzes sans âge que l’on croise sans les calculer. Le pigeon a cogné la rame, de face, puis a disparu sur le rail.

Il y eut une exclamation parmi les voyageurs. Ni réprobation, ni approbation. Les points de vue s’annulaient, entre ceux qui applaudissaient la précision du tir et les amis des bêtes qui réprouvaient avec des accents intellectuels. Mollement, tandis que quelques plumes retombaient sur le quai. 

L’homme s’est retourné. Avant même de voir son visage, je l’avais reconnu…

 

 

27 juin 2013

Arbre au merle

 

Arbre au merle
Avec pendants
Oh, roses
Fleuve tristesse des saules
Courbons la tête aux branches basses
Promenade oh
Marine batelière
Vol oiseaux blancs longue idée d’exil
Au cou tendu
Oh, cygnes
Et les mots simples
Embrasse-moi
Sous les fruits rouges
Comme le printemps
A remonté la Seine
La barque emporte l'amour
Le peintre et son modèle

 

 

 

© jpr 27 juin 2013

 

26 juin 2013

Aux couleurs

 

 

 

 

Pour ne plus oublier les jours
Heureux
Hissez au matin les couleurs des eaux vives
Venez deux amants caresser ce qui reste de nuit
Si la rivière fait rire ses miroirs à danseuses

Pour ne pas oublier les jours
Heureux
Hissez  à midi les couleurs des eaux claires
Venez deux amants suivre à la ligne les moires les éclats
Si la rivière fait jouer ses notes du plein soleil

Pour ne rien oublier des jours
Heureux
Hissez encore au soir les couleurs des eaux libres
Venez deux amants goûter le chant du ruisseau
Pour voir aux yeux de l’autre tous les reflets du jour
Et le jour qui s’éteint dans les couleurs de l’eau

Si la rivière entraîne la chanson
Si la chanson emmène les amants
Si les amants enchantent leurs jours
Heureux.

 

 

 

© jpr 26 juin 2013

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