Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Poésie par la fenêtre
13 juillet 2013

Le pigeon (8)

Raconter, c’est restreindre, c’est resserrer. Pour les impatients on pourrait faire un envoi groupé, mais non. On va prendre l'été pour approcher de la vérité. C'est déjà une jolie performance. Pensez donc à tous ceux qui ont couru après toute leur vie. La vérité.

 Yorgos Kotsiras était un septuagénaire aisé avec bagouze sur tous les doigts et dents en or. Très cordial, très accueillant, très chaleureux et très gourmet. Une bonne tête d’agneau à la menthe ou de cochon tsatsiki, avec le sourire. Il regardait le plat, une belle femme à votre table, il embrassait la chevalière à son médium en laissant ses yeux pétiller. C’est lui qui choisissait la musique et faisait venir l’orchestre. Maintenant il est mort mort en petits bouts explosés.  Le problème avec les grenades offensives, c'est le désordre, après usage. 

-       Tu vois, Eli, fait Anna, le plus parfait de ces salauds garde le sourire en toutes circonstances et mieux même, le souvenir de ses tortures ou de ses trahisons en fait une sorte de survivant. Il a vécu des années dans l’horreur. C'était lui l'horreur, à peu-près. Il s’est sorti de là. Ses amis, ses femmes, ses chefs sont morts ou disparus. Lui, il tient un, deux, trois restaurants ou une épicerie fine ou juste une petite pension de l’armée. Il jouit de tous les moments. Ce Kotsiras a trainé autour de la prison de Korydallos dès son ouverture, en 1974. On raconte qu’il y avait ses entrées et ses protégées. Personne n’a l’idée ce que devenaient les nouveaux-nés si leurs mères disparaissaient. Personne n’a consolé les mères. Leur bébé était mort à la naissance, envolé. Kotsiras lui, il savait où partaient les bébés.

-       Et qui peut les retrouver ?

-       C’est toujours trop tard. Ce qui m’importe maintenant, avec Tolios et les autres, c’est comprendre comment on devient ça. Comment l’homme se dégrade jusqu’au pire et comment le pire n’est jamais atteint…

-       Mais les enfants ? Qui leur dira l’histoire ?

-       Je crois qu’ils savent. Cherche ton plus vieux souvenir. Tu as quel âge sur ta plus ancienne photo ? Cherche encore, avant…

-       Avant ? Je suis né à huit ans devant un accident de voiture. Une fille de mon âge criait sur l’autoroute. Elle appelait du secours. Elle savait que rien ne la sauverait. Elle serait seule toujours. Je pense à elle souvent. Sa mère était une forme sombre contre le béton de la route. Notre auto a avancé. Je suis né là.

Anna regarda vers les étages :

-       Mes compagnons se posent les mêmes questions à propos des salauds, mais eux sont nés très tôt, parce que leur père était emmené dans un camion militaire, parce qu’il fallait quitter la maison en pleine nuit, parce que quelqu’un leur serrait très fort la main en passant devant la caserne, en croisant la patrouille ou en entendant gueuler des ordres. Ceux qui tuent les Kotsiras leur volent des réponses.

Adrian nous avait rejoint au café. C’était un garçon très jeune, perpétuellement enjoué. Il semblait s’amuser de tout, même de vivre, même du sort de Kotsiras.

-       Kotsiras est mort sur le coup. La grenade l’a projeté en gros morceaux contre les murs, sûrement. Ceux qui ont fait ça savent s’y prendre. Peut-être qu’il est mort trop vite. Mais il en reste d’autres.

Derrière le bras qui tenait la carte de police, il y avait un inspecteur. Derrière l’inspecteur, un autre inspecteur et derrière l’autre inspecteur plusieurs policiers en civil. Avant ils était clients du café. Maintenant, ils faisaient la haie pour nous embarquer.

J’eus le temps d’apercevoir une petite file qui sortait de notre immeuble. Dans la file, il y avait tous nos amis. 

 

 

Bon, on a recyclé tout un café dans la police. Tout le monde est embarqué. Si j’étais Adrian, j’éviterais de sourire, l’inspecteur Bourras n’a pas une bonne tête et si, lui, il sourit, c’est en pensant à beurrer le marmot. Beurrer le marmot ?  Qui consoler avec des gifles ? Surtout si personne n’est triste. Aïe !

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité