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Poésie par la fenêtre
19 juillet 2013

Etoiles (Le pigeon 14)

Il est possible de rouler entre La Souterraine et Guéret via Saint-Vaury en écoutant Sarah Vaugham chanter Autumn leaves vers minuit, si on a les bonnes cassettes.

C’est le privilège de ceux qui veillent : ils peuvent  attraper entre deux virages l’envie de s’arrêter sous les arbres pour regarder les jeux des phares et du vent auprès des chênes qui se penchent sur la route : ils dansent avec la musique.  

-       Tu sais où tu nous mènes, Anna ?  souffle Tolios en allumant sa gitane

-       Depuis le début, tu le sais aussi. Il suffit de passer la muraille pour connaître ce qui compte.

-       La muraille ? Bien des mystères…je crois que ce n’est plus l’heure…

-       Les tyrans, il y a ceux qui les dénoncent, ceux qui les condamnent, ceux qui les exécutent.

Un murmure dans la caravelle révèle qu’on ne dort pas dans les banquettes. On écoute…Elle poursuit :

-       Le mieux, c’est d’éviter qu’ils poussent. Après c’est toujours trop tard.

Adrian, reprend, avec son ton ralenti et précieux :

-       Comme ils le disent en France, la victoire vole au secours, non, ils disent, il y a beaucoup de monde pour voler au secours de la victoire.

-       Tu vois, Tolios, je vous emmène pour recommencer l’histoire, autant que pour nous faire oublier.

Personne n’a envie de nouer un débat. On écoute la Vaugham. Je crois que tous espèrent se poser.

-                Sérieusement, quand est-ce qu’on arrive ?

La route s’est resserrée. A présent elle fait de belles boucles dans la forêt, inégales et parfois étirées. Celui qui a tracé cette route devait penser à ses cahiers d’écolier[1]

-        Ici on croit parfois être perdu et qu’on n’arrivera jamais et puis soudain, c’est exactement comme si on n’était jamais parti. Encore quelques virages, encore quelques minutes répond Anna, mais d’abord, attendons ici, c’est mieux si on n’a pas été suivis.

Les deux caravelles s’engagent dans un chemin. Moteurs coupés, lumières éteintes, les voitures et leurs occupants sont dans une nuit profonde, d’avant l’invention de la ville, des panneaux lumineux et de la lumière électrique.  Tout le monde descend pour écouter, se dégourdir un peu et pisser en regardant les étoiles. 

-       Je n’ai pas vu de nuit pareille depuis mon dernier séjour à Ermioni, murmure l’une des filles.

-       Nicias, on reste ici quelques temps, tu pourras encore compter les étoiles.

Anna s’est rapprochée du petit groupe près de la route

-       Il n’y a visiblement personne à nos trousses. Ici c’est le meilleur endroit pour se cacher.

Il n’y a plus soudain que le silence peuplé d’une nuit d’été. Chants de grillon ou message céleste, on ne sait si la fine vibration, multipliée par  des centaines d’insectes, monte du sol ou descend du ciel. Ils sont seuls, ensemble, dans la nuit, camouflés, déguisés en ombres tranquilles et douces (c’est mieux, Thomas, celle-là, je la garde).

Tandis qu’ils se tournent vers les caravelles, Adrian souffle :

-       Regardez !

Au-dessus des arbres, plus bas vers une combe, un éclat de lumière, vite avalé par la voûte d’arbres, puis, un rayon, puis un pinceau encore se montrent et cheminent. Tous, instinctivement se sont resserrés et baissés et c’est exactement leur dernier fragment de paix qui disparaît lorsque, longtemps après avoir fait entendre leurs grondements sur la route au loin, deux autos noires passent devant eux, tirées par leurs phares.

 

 

 

 



[1] Image proposée par Thomas, de Nœuds-les-Mines. Thomas, c’est la dernière fois que je reprends vos clichetons nunuches. 

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17 juillet 2013

Loin la banlieue (Le pigeon 13)

Amis lecteurs fidèles du pigeon, bonsoir.

Oncques nous laissâmes nos héros rejoignant la banlieue par la route. Nombre d’entre vous s’inquiétaient, à juste titre et avec raison des possibles sévices que pouvaient leur infliger les passagers d’une automobile noire qui les suivait. Aucun procédé stylistique n’étant en ce moment en notre possession, nous ne pourrons faire de retour sur image pour identifier les sicaires  qui d’ailleurs, se camouflaient derrière des lunettes noires.

Ce seul indice pourrait nous laisser entrevoir que ces escarpes ne sont autres que les assassins de feu le chef de la CIA, mais aussi du restaurateur grec Yorgos Kotsiras.
Ce Kotsiras n’a aucun lien de parenté avec Yiannis Kotsiras, l’heureux compositeur de To Vals Tis Mikris qui se joue à la boîte à musique et qui  va si bien avec les scènes d’étranglement en noir et blanc auxquelles ont pu assister les lecteurs Grecs de votre feuilleton favori Το περιστέρι, censurées en France.

Mais porter des lunettes n’est pas une preuve de culpabilité. Ceux d’entre vous qui pensent avoir reconnu les violents cités plus haut sortent et passent leur tour. En effet, combien d’innocents auraient été condamnés avec de tels procédés qui tiennent de l’amalgame ? D’autant que le coupable à lunettes, les ôtant redevient innocent. Ah !

Après l’avenue de la porte de Champerret, les deux caravelles ont emprunté le périphérique. Roulant à une allure modérée, elles n’ont pas manqué, après l’avenue Edouard Vaillant de prendre la direction d’Orléans, puis de Vierzon, pour faire le plein de gazole du côté de Marmagne.  A 3 francs 48 centimes le litre la station Shell était à l’époque la moins chère de la région, mais les occupants des caravelles l’ignoraient, tandis que nous, nous en foutons totalement (sauf Martine, de Martigues, qui demande toujours des détails à la con qui ralentissent le récit).

Vierzon ? C’est une banlieue bien lointaine, je vous le concède. Mais si on est dans le viseur de  la CIA et du MI6 ainsi que du Ethniki Ypiresia Pliroforion (service du renseignement grec), c’est encore trop proche. Après 408 kilomètres de chaussée carrossable, nos personnages entrent en Creuse, par la Souterraine. Ici l’auteur est agité de scrupules : doit-il décrire tous les Grecs, ce qui nous les rendrait sympathiques, car familiers ? Doit-il attendre, c’était son parti pris jusqu'à présent, que des évènements mettent en avant certains d’entre eux, comme happés par le destin, marchant sur le proscenium à la rencontre de leur sort ?

L’inspecteur Bourras et ses hommes ne se posent pas la question eux, qui postés de nuit à la Souterraine, miment l’indifférence en se fondant dans la foule ce qui, même en plein jour et il est minuit est, à cet endroit, un véritable exploit. Pour ceux qui ne suivraient pas, je leur donne rendez-vous dans la rue principale au moment de leur choix, ils jugeront par eux-mêmes.

Les fiches renseignées par les collaborateurs de Bourras sont précises et détaillées. Ainsi saurions-nous en les lisant quel est l’âge exact, quelles sont les mensurations de nos Grecs et qui couche avec qui.

Les caravelles traversent la Souterraine silencieuse. Anna se penche vers Anatolios et lui glisse quelque chose à l’oreille.

-       Que dit-elle ? questionne Adrian

-       Elle me glisse à l’oreille qu’elle ne s’attendait pas à trouver tant de monde dans la rue à cette heure-ci dans un pareil endroit, répond Anatolios.

Dans les minibus, endormis et endormies, les grecs et les grecques roulent sans le savoir vers Guéret. Alexi Lychnári et Anna tous deux au volant sifflent Fischia il vento (non Martine, je n’ai pas les paroles). Ils ne voient pas l’auto noire qui, tous feux éteints a repris elle aussi la route.

 

Les lecteurs attentifs à la cohérence de ce feuilleton et Martine, qui aime les détails auront été, ce soir, comblés. Les autres protestent en allant se coucher et jugent l’auteur qui facétieux, qui, carrément casse-burnes. N’optez pas amis, attendez. La violence latente de ce récit finira bien par atteindre son acmé et vous serez les premiers à regretter nos flâneries. 

16 juillet 2013

Résumé filmé (le pigeon 12)

 

Il est des jours plus compliqués que d’autres pour voir progresser l’intrigue.

Si vous étiez venus plus tôt, j’aurais pu vous raconter en direct la perquisition chez les Grecs, ce que l’on trouve et ce que l’on ne trouve pas. Hélas, ce passage ne pouvait pas avoir d’autre titre que « la fuite ». Le narrateur et plusieurs jeunes Grecs dont les jumeaux Achille et Jean-Marie ont été expulsés du squat artistique où ils étaient hébergés. Le squat a dans le même mouvement été vidé itou. Merci la solidarité.

Quelques horions échangés avec des artistes de méchante humeur ont tout de même ressoudé le groupe qui a pu s’exprimer à propos d’art contemporain.

Sinon rien de bien intéressant. Deux bus ont été achetés, deux caravelles fatiguées de retour du Maroc. Dans les bus, direction le périph, la banlieue on dort, on chante, on vit, on s’aime. Ceux qui ne dorment pas chantent, ceux qui vivent peuvent aussi dormir. Ceux qui s’aiment vivent leur amour et chantent leur amour et dorment leur amour et nous font un peu chier car ils n’ont rien d’autre à raconter les yeux dans les yeux.

Ah oui, oui, il y a une voiture noire qui suit le bus à travers Paris. Dans la voiture noire, personne ne chante, personne ne dort et personne ne s’aime. Pire, personne ne s’aime et aucun des passagers n’aime personne au monde.

Quand est-ce que l’enquête commence ? Ben l’enquête est commencée. Ce que nous ignorons, c’est combien d’enquêtes simultanées sont lancées. Dans ses greniers, l’inspecteur Bourras a organisé un pot de départ, car il part en région pour quelques jours, avec toute la brigade, mais son enquête progresse : c’est pour cette raison qu’il quitte le quai pour la province.

Si nous avions un peu de temps, nous pourrions nous inviter et voir dans un dossier la photo des jeunes grecs en groupe et un par un dans la nuit devant le squat, la photo des caravelles et la photo de Anna.

Nous pourrions apercevoir aussi la voiture noire.

Dans une étape du Tour, on appelle cela le résumé filmé. Un soir, je vous l’enregistrerai, ainsi vous n’aurez pas à lire, juste à suivre les bus direction la banlieue.

 

 

15 juillet 2013

Le pigeon (11)

Pas un d’entre vous ne m’a demandé ce que je fais en 1989 avec un pistolet .45 au milieu d’une bande de jeunes gens grecs trop passionnés, surveillé par un flic amoureux de Mélina Mercouri. Peut-être que vous avez besoin de nouveau dans la vie, du piment , du piquant, de l’aventure. Personne ne s’est ébaubi devant les cadavres. Un coureur cycliste sans nom qui meurt avec son garde du corps, dans le Galibier, voilà, la routine, pour vous. Pour moi beaucoup d’ennuis. 

 

C’est vrai qu’il a l’air louche, le touriste.  Il a trop la tête d’un touriste chinois pour être un vrai touriste chinois. A la CIA on les entraîne pour se fondre dans le réel. Un bob, un appareil photo, un kwé trop long : un touriste chinois.

La marchande de journaux, mitaines, chaussettes roulées, pas aimable : CIA.

Le pêcheur, à gauche, en bord de Seine, habillé en capitaine Tintin : CIA. Le planton devant l’hôtel, CIA , CIA , CIA.

Je marche vers le métro en serrant la crosse du SIG. C’est le moment du partage. Je suis partagé, vous êtes partagés. Pour l’instant, on s’en moque un peu, tous. Ceux qui meurent sont surtout des vieux grecs au passé frelaté. J’en entends - les mêmes sont opposés la peine de mort, qui se réjouissent et surtout qui s’indiffèrent. Position très légère, très ! Dangereuse ! Si on tue tous les vieux dégueulasses sous vos yeux impassibles, ça va être un carnage :

-       Ton voisin, il écrivait  des lettres signées « Un anonyme » pendant la guerre ? Bling, au tas, une balle entre les deux yeux.

-       Ta grand-mère elle dormait chez collabo ? Zip, un sourire espagnol !

-       La guerre d’Algérie ? Coupe, taille, zigouille !

-       As du volant, picole un peu trop écrase l’auto, dans l’auto trois jeunots. Allez pan, pan, prends-ça, t’es mort.

-       Pas moi, j’étais obligé, c’était eux ou nous. C’est pas de la torture, c’est du renseignement. Allez, à cuire, au lance-flamme !

-       Et moi, je n’y étais pas, j’ai refusé. Bang, t’es mort aussi ! Erreur de la justice populaire.

Voilà, le lecteur moyen, dans l’ensemble et statistiquement, on lui aligne les macchabées, il en veut davantage. Il en veut, il en aura !

L’ambiance n’est pas au Sirtaki chez les Grecs. Anatolios et Anna jouent aux dames dans le salon, Adrian et son ami ont sorti le scrabble, quatre garçons jouent au Cluedo dans la cuisine avec un chandelier, les filles jouent au Biriba. On se croirait au club de l’Âge d’or, moins les plaisanteries cochonnes.

Tous sont très sombres. L’accueil de l’Inspecteur Bourras et de ses francs-tireurs a été beaucoup plus rude pour eux que pour moi.  Achille et Jean-Marie, les jumeaux, ont pris très cher. Deux policiers dont le Roublon, dont il sera question à nouveau un peu plus loin, ont illustré l’expression familière « beurrer le môme ». Achille et Jean-Marie sont ressemblants, comme toujours, et portent à peu-près les mêmes marques de coups tous les deux.

Si ce genre de plaisanterie vous amuse, même un peu, restez dans l’histoire. Il y en aura d’autres, et des saignantes. Maintenant, je ne choisis pas mes lecteurs dans le carré sado. A vous de voir.

 

© jpr juillet 2013

14 juillet 2013

Le pigeon (10)

Le Roublon me dépose place Clichy. Ce n’est pas le service prestige, mais j’apprécie le geste.  J’ai bien envie d’une petite étape de repos, moi, car ni Anna ni ses copains ne sauront jamais tarir le flot de questions qu’a déclenché la rencontre avec Bourras. Je ne sais plus qui est suspect, et qui ne l’est pas et qui le sera. Ce que je sais je l’ignore, comme d’avoir compris que les services secrets américains nous surveillent. Dites-le vous pour vous même et regardez la différence dans la rue, dans le bus et même dans l’ascenseur, à moins d’y être seul : tout le monde surveille tout le monde et chacun peut être celui qui vous épie. Etait-il dans les intentions de l’inspecteur de nous laisser monter la mayonnaise parano ? Les Américains, les Anglais, les Grecs et je ne sais quelle brigade d’assassins sont à mes trousses. C’est une information peut-être, une menace ou un avertissement. Bourras se tient-il prêt à compter les points, va-t-il agir ?

Le cassoulet des frères Lamarre me remet dans le jeu. Fred Lamarre et son jumeau font une cuisine de famille, haricot tarbais, canard comme au temps de l’ancien, saucisse au couteau. Magnifique. J’arrose avec un Cahors de Mathieu Cosse. Bon choix chez les frères. J’appelle Fred :

-       Tu m’en mettras une grosse boîte  et deux petites

-       Des ennuis ?

-       Non, c’est juste professionnel…

Fred a deux qualités. La première c’est son frangin, la seconde, la discrétion. Il me fait sortir par l’arrière-cuisine.

Je me sens mieux après le repas, plus détendu d’avoir sur moi le SIG-sauer. Une arme éprouvée, fiable, pour ainsi dire consciencieuse, en calibre .45, avec les munitions.

Bon, ça n’arrange personne de me savoir enfouraillé ? Beaucoup de pourquoi dans cette affaire de pigeon. J’espère que tout le monde suit.

Article 1. Protège-toi

Article 2. Prépare tes arrières

Article 3. Si certains te confondent avec le volatile éponyme de cette histoire, c’est que tu as bien travaillé les deux premiers articles.

En remontant de Clichy à la rue Damrémont, je pense que la France est un pays épatant, après tout, financer le service de Bourras n’est pas un luxe vain, même si personne ne le déclare en questions préalables à l’Assemblée nationale. 

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14 juillet 2013

Le pigeon (9)

Traverser Paris à la sirène c’est déjà ça. Si on t’embarque avec tes copains, au moins que la sirène se fasse entendre. Prendre les souterrains entre deux flics, oui, mais à toute allure. Les arbres le long de la Seine jouent ombre et lumière. Voici le quai aux fleurs, voici le quai des Orfèvres.  Je pense à la Saint-Chapelle, je ne l’ai jamais visitée. Peut-être que cette fois ? Pas le temps de regarder la cour, nous sommes pressés.

Il y a sûrement des ascenseurs, mais on prend les escaliers, même allure. Les types m’encadrent au pas de charge. Pas un mot, on monte toujours. Ces gens là sont spécialement entraînés. Je ne compte plus les couloirs, les portes, les  policiers en uniforme, les sans képi, les secrétaires. Parfois j’accroche un regard. Une fille me fixe, genre clin d’œil, comme s’il s’agissait d’une grosse blague. On monte toujours. Marches moins larges, étages déserts. Le poulet est rare en altitude, je me dis. Dernier couloir. Un banc.

-       Tu attends-là.

Le jeune inspecteur  désigne le banc. Il ressemble à un de mes anciens coéquipiers, au foot du curé. Ce mec, tout le monde l’appelait le Roublon.

-       Il est comme un fond de bière, ricanait l’entraîneur. Pas simple à comprendre. Un mec avec des bulles au fond et des yeux clairs et la peau qui cloque.

Le Roublon policier pointe le banc avec son menton, je reste debout.

- C’est comme tu veux.

Puis il se tait et disparaît de mes pensées. Je ne suis ni entravé ni menotté. Je m’aperçois que, machinalement, j’ai croisé les mains devant moi. Je pourrais m’enfuir, si je savais ce que je dois fuir, protester au moins, mais je ne sais pas contre quoi.

Quand son collègue revient enfin, j’ai eu le temps d’étudier la crasse du couloir, le parquet crevé, les portes en alignement avec des plaques qui obturent les vitres. Par une fenêtre à droite, on voit un coin de ciel bleu.

Ils me font entrer dans un bureau et asseoir face à l’inspecteur Bourras.

- Je suis l’inspecteur Bourras. Ici, c’est moi le patron. Tous les bureaux pourris autour de toi, sur deux étages, sont rigoureusement vides. Je commande des bureaux vides et des flics fous. Pour toi, ce n’est pas drôle, et tu ne le sais pas encore. La brigade que je dirige n’a pas de nom, pas d’adresse, évidemment, pas d’existence. Et toi non plus. Mais, si tu le veux, tu peux partir, à l’instant.

Tu es libre.

Il reste silencieux et m’observe. Une longue seconde de silence nous sépare, je vais le dire et immédiatement, le faire. Me lever, le saluer, reprendre le couloir, descendre dans les entrailles du 36 à la recherche des flics pères de famille, des vraies policières à blouson de cuir et même du buste en plâtre du préfet de police, leur crier qu’un cinglé s’est monté un bureau dans les combles…

-       Mais tu ne vas pas le faire. Tu es trop curieux et trop malin. Surtout, et c’est ce que vous ignorez, toi et les enfants du Pirée, vous n’avez qu’un ami au monde. C’est moi.

Le bureau sombre sent la poussière la cigarette et l’alcool et c’est  absolument l’odeur qui convient pour cette rencontre. Je lance :

-       Où sont les autres ?

-       Les autres quoi ?  Il n’y a pas d’autres, jamais. Des révolutionnaires de bibliothèque qui  font des barricades de bouquins entre Gramsci, Trotsky et  connerie. Ce ne sont pas  « des autres », ce sont les mêmes agités qui nous font perdre notre temps, tout le temps. Je vais te montrer autre chose…

Aussitôt, il s’était levé, avait ouvert le classeur à rideau derrière lui et sorti une serviette de cuir, rapée, comme un souvenir de cours complémentaire et de besogne. De la serviette il tira un premier dossier. Soigneusement, il posa devant moi quatre photos.

La première, un cliché de police montrait un cadavre, le sommet du crâne emporté, sur un trottoir. L’homme portait une fine moustache qu’aurait pu envier Errol Flynn.

-       Legrand, CIA, abattu en pleine rue, en pleine foule, devant sa fille et sa femme. Grand désordre.

La seconde photo n’était pas évidente à comprendre. Il s’agissait de restes humains ensanglantés :

-       Yorgos Kotsiras, version shrapnellisée. Un pur produit de guerre, marchand d’armes, de femmes, de drogues, en façade marchand de soupe. La seule chose qu’il n’ait jamais vendu, des caramels. Il les gardait pour lui. Le voilà fumé en plein Paris. Grand désordre. Tu y étais. Tu y étais mais tu n’as rien fait, ni toi ni les petits Grecs, avec leur jus de boudin et leurs sacs à merde. Crétins. 

Je pris la cigarette allumée qu’il me tendait.

-       Regarde ce portrait d’honnête homme…

Il me montrait un homme sec en tenue cycliste, au milieu d’un groupe de quinquagénaires pareillement vêtus aux couleurs d’une entreprise de vente par correspondance.

-       En ce moment même, il grimpe l’Isoar ou le Galibier, tout seul sur sa bicyclette. Il a un joli coup de mollet et un déhanché remarquable. Derrière lui, tout seul aussi sur son vélo, il y a Mélone, son garde du corps. Ne retient pas son nom. Encore quelques virages et il sera plus chargé qu’un triple vainqueur du Tour. Seulement, le pot belge, il l’aura pris en pleine face, à la grenade, au fusil, ou même, on l’a vu, au bazooka. Son patron le rejoindra aussitôt au Valhalla des coureurs et des tortionnaires. Parce que ce type là, c’est un cycliste du dimanche et un salopard à la petite semaine. Seulement voilà, quelqu’un va le tuer. Aujourd’hui, demain, un peu plus tard, ça ne fait pas de différence. Seulement un grand désordre dans la République.

La quatrième photo était un portrait d’artiste de Mélina Merkouri. Bourras parlait au-dessus de moi, ou à travers moi et uniquement pour lui-même :

-       C’est l’histoire d’une femme qui refuse de monter, avec un mec qui ne lui plait pas. Elle choisit un autre gars qui paye moins mais qui lui plait, celui là et le gars tremble comme une feuille, tellement elle est belle, tellement il a peur d’elle, tellement il a envie d’elle. Alors elle allume une cigarette…

Il hésite un moment puis…

-       Tu peux comprendre la beauté, toi, j’en suis certain. La beauté et la paix. Tu vas dire à tes Grecs que je les surveille. D’ailleurs c’est exactement ce que mes gars leur expliquent en ce moment même. Je les surveille et je ne sais pas encore si je dois les anéantir ou les ignorer. Je suis comme leur destin. Je peux les sauver ou…je peux laisser faire. Imagine le nombre de camarades qui, à l’heure qu’il est se sont tournés vers Paris pour venir les…

Il ferme son poing brutalement.

-       Des Américains, des Anglais et bien sûr quelques Spartiates.

-       Mais, pourquoi ?

-       Pourquoi des Spartiates ? 

L’inspecteur Bourras ne me regarde plus. Il range les clichés dans la serviette et garde devant lui Mélina Merkouri. Il me fait signe de sortir, il me chasse, comme un cheval agacé aurait fait pour des mouches sauf que lui, il le fait avec sa main. Au moment où j’ouvre la porte il lance :

 

- Dans ta fine équipe de Grèce, il y a quelqu’un qui joue pour ceux d’en face. Trouve-moi de qui il s’agit…le joueur et ses employeurs. Trouve vite et pense au destin.

 © jpr le 13 juillet 2013

  

L’inspecteur me rappelle Tcheky Karyo, qui fait le chanteur aussi bien que l’acteur.

Pour ceux qui aiment le cinéma, la voix et les yeux de Mélina, voici un cadeau du 14 juillet, avant le feu d’artifice :

 http://www.youtube.com/watch?v=YCFXGanTx4A

 

 

 

 

 

13 juillet 2013

Le pigeon (8)

Raconter, c’est restreindre, c’est resserrer. Pour les impatients on pourrait faire un envoi groupé, mais non. On va prendre l'été pour approcher de la vérité. C'est déjà une jolie performance. Pensez donc à tous ceux qui ont couru après toute leur vie. La vérité.

 Yorgos Kotsiras était un septuagénaire aisé avec bagouze sur tous les doigts et dents en or. Très cordial, très accueillant, très chaleureux et très gourmet. Une bonne tête d’agneau à la menthe ou de cochon tsatsiki, avec le sourire. Il regardait le plat, une belle femme à votre table, il embrassait la chevalière à son médium en laissant ses yeux pétiller. C’est lui qui choisissait la musique et faisait venir l’orchestre. Maintenant il est mort mort en petits bouts explosés.  Le problème avec les grenades offensives, c'est le désordre, après usage. 

-       Tu vois, Eli, fait Anna, le plus parfait de ces salauds garde le sourire en toutes circonstances et mieux même, le souvenir de ses tortures ou de ses trahisons en fait une sorte de survivant. Il a vécu des années dans l’horreur. C'était lui l'horreur, à peu-près. Il s’est sorti de là. Ses amis, ses femmes, ses chefs sont morts ou disparus. Lui, il tient un, deux, trois restaurants ou une épicerie fine ou juste une petite pension de l’armée. Il jouit de tous les moments. Ce Kotsiras a trainé autour de la prison de Korydallos dès son ouverture, en 1974. On raconte qu’il y avait ses entrées et ses protégées. Personne n’a l’idée ce que devenaient les nouveaux-nés si leurs mères disparaissaient. Personne n’a consolé les mères. Leur bébé était mort à la naissance, envolé. Kotsiras lui, il savait où partaient les bébés.

-       Et qui peut les retrouver ?

-       C’est toujours trop tard. Ce qui m’importe maintenant, avec Tolios et les autres, c’est comprendre comment on devient ça. Comment l’homme se dégrade jusqu’au pire et comment le pire n’est jamais atteint…

-       Mais les enfants ? Qui leur dira l’histoire ?

-       Je crois qu’ils savent. Cherche ton plus vieux souvenir. Tu as quel âge sur ta plus ancienne photo ? Cherche encore, avant…

-       Avant ? Je suis né à huit ans devant un accident de voiture. Une fille de mon âge criait sur l’autoroute. Elle appelait du secours. Elle savait que rien ne la sauverait. Elle serait seule toujours. Je pense à elle souvent. Sa mère était une forme sombre contre le béton de la route. Notre auto a avancé. Je suis né là.

Anna regarda vers les étages :

-       Mes compagnons se posent les mêmes questions à propos des salauds, mais eux sont nés très tôt, parce que leur père était emmené dans un camion militaire, parce qu’il fallait quitter la maison en pleine nuit, parce que quelqu’un leur serrait très fort la main en passant devant la caserne, en croisant la patrouille ou en entendant gueuler des ordres. Ceux qui tuent les Kotsiras leur volent des réponses.

Adrian nous avait rejoint au café. C’était un garçon très jeune, perpétuellement enjoué. Il semblait s’amuser de tout, même de vivre, même du sort de Kotsiras.

-       Kotsiras est mort sur le coup. La grenade l’a projeté en gros morceaux contre les murs, sûrement. Ceux qui ont fait ça savent s’y prendre. Peut-être qu’il est mort trop vite. Mais il en reste d’autres.

Derrière le bras qui tenait la carte de police, il y avait un inspecteur. Derrière l’inspecteur, un autre inspecteur et derrière l’autre inspecteur plusieurs policiers en civil. Avant ils était clients du café. Maintenant, ils faisaient la haie pour nous embarquer.

J’eus le temps d’apercevoir une petite file qui sortait de notre immeuble. Dans la file, il y avait tous nos amis. 

 

 

Bon, on a recyclé tout un café dans la police. Tout le monde est embarqué. Si j’étais Adrian, j’éviterais de sourire, l’inspecteur Bourras n’a pas une bonne tête et si, lui, il sourit, c’est en pensant à beurrer le marmot. Beurrer le marmot ?  Qui consoler avec des gifles ? Surtout si personne n’est triste. Aïe !

 

11 juillet 2013

Le pigeon (7)

L’ouzo c’est bon sur les cartes postales et dans les souvenirs qui datent. L’ouzo de la veille, c’est l’odeur de l’anis et de l’alcool sur l’oreiller et dans les cheveux, plein la gorge et les poumons, comme un tabac qui empoisonne l’haleine. Froid, figé de mousse blanche au coin des lèvres. Tout est gris dans la pièce et je me prends les pieds dans un cendrier. Les autres dorment encore, certains sur les tapis ou sous la table. Il y a dans l’air ce qu’on respire au ras du sol dans un bistro à l’Est de Paris au point du jour à la fermeture, le mégot, la sueur les crachats, les rires, la tchatche d’après minuit, le vin collé sous les chaussures avec les papiers de sucre.

J’ouvre les rideaux puis la fenêtre. Le jour entre avec le boulevard, les voitures, les gens qui s’appellent ou qui s’engueulent. Il doit être 9 heures et j’ai mal à la tête.

Pas un mouvement chez les dormeurs, à peine un grognement à cause de l’air froid.

Hier soir à la Huchette, nous étions quatre. Anatolios avait rejoint le groupe un peu avant la nuit. Chacun dans son sac avait une bombe de peinture noire, une ou deux bouteilles à bière remplie de sang de cochon et diverses saloperies malodorantes.

La cible s’appelait Yorgos Kotsiras. On le trouvait au fond d’une gargotte vaguement hélène, du nom de Volupté, avec des filets de pêche et des gambas en guirlande, des cochons rôtis et des types à l’air content qui font l’article et poussent les touristes à l’intérieur.

Il fallait attirer l’attention sur celui que nous visions, avant de le dénoncer devant les tribunaux, partout où, la Loi, un juge et ses crimes pouvaient le faire interpeller.  

A l’Hêdonê[1], tout était normalement grec, même la musique. A l’instant où nous allions rentrer deux types ont fait irruption. Le premier s’est retourné et nous a fait signe de filer. Il avait un flingue à la main. Le second a fait deux pas dans le restaurant. L’instant d’après ils partaient en courant. Il y eut une détonation sourde avec une forte fumée blanche et noire. C’est alors que nous avons commencé à courir.  

 

Je sais, c'est ballot. On a du mal à entrer dans la page et une fois qu'on y est, c'est fini. Au moins, on est à Paris, c'est déjà ça. Mais le pigeon, la CIA, une grenade dans la volupté? Bah, on verra demain. 



[1] volupté

10 juillet 2013

Le pigeon (6)

Voilà, l’auteur reprend son ouvrage. Il sait qu’il emprunte de son existence aux Parques.

A la fin des fins, il est seul juge de l’existence ou non des gens qui bougent, s’aiment, respirent, jurent et meurent dans ses pages.

Est-ce que l’on sait quel est son niveau de tension s’il doit côtoyer des personnages difficiles, torturés, dangereux ou, selon ses critères personnels, absolument infréquentables ? Parfois, il leur fait subir des sévices. Qui sait s’ils ne viennent pas à leur tour le persécuter ? Pour cette raison, il est vaguement angoissé au moment de taper le premier mot. Il sait la fin de l’histoire et, franchement, il pense que tenir sur la durée, avec des héros débutants et des lecteurs à zapette, ça n’est pas coton.

Bon, dit l’un d’entre eux, on s’en fout, ce qu’on veut, c’est les Grecs !

 

Voilà. Ça se passe sur le front de mer, en plein été et en début de soirée. Les voitures sur l’avenue sont suffisamment brillantes, chromées, longues et décapotables pour que l’on sente une certaine aisance dans la ville. D’ailleurs, les bâtiments correspondent à cette idée, avec leurs balcons, leurs rotondes, les parasols sur les terrasses et des étoiles sur les hôtels qui tournent autour de gros tas d’oseille en forme d’hommes et de femmes fortunés. Des palmiers s’alignent sur deux rangs pour bien te dire –car les palmiers c’est cossu, que là, on est dans le vrai pognon, jusqu’au fond de la gueule, à pas pouvoir en fourrer deux ronds de plus dans les bajoues des rupins.

Deux hommes remontent l’avenue en longeant la mer. C’est étonnant, l’heure est à descendre du centre ville vers les bars qui clignotent plus à l’Ouest. La plupart des passants cheminent ainsi en suçant des glaces. Certains mangent les glaces, d’autres croquent dedans, mais la plupart les sucent. Ceci n’a aucune importance pour notre récit ou pour les rapports humains en général. Mais c’est un fait et nous tenons à la précision. La plupart des passants rejoignent les bars de l’Ouest. Les deux hommes vont à contre-courant et, si l’attention n’était pas attirée sur eux à l’instant, nous ne les remarquerions nullement. Sauf si l’on remarque les hommes jeunes et bruns avec des lunettes de soleil de marque. Ils vont devant eux sans se préoccuper l’un de l’autre, sans regarder les badauds et sans que les badauds les aperçoivent.

Plus haut, vers le marchand de glace Nanni, qui vend aussi de la guimauve molle et des pommes d’amour qui se reflètent dans les miroirs, il y a affluence, comme toujours. Nanni, il le fait tous les soirs, offre une glace à l’italienne aux femmes qui chantent en Italien. Il y a toujours une femme pour commencer à chanter et Nanni reprend le refrain.

Ça, c’est dans le récit. Si ce n’était pas le cas, il suffirait de faire marcher deux hommes jeunes et bruns vers le centre ville, sur des trottoirs vides. Face à la mer et semblant demander à être servis, il y aurait, un peu plus haut, un Américain de quarante-cinq ans environ, dans un costume clair, avec des yeux clairs et un sourire simple aux lèvres tendant la main comme pour donner de la monnaie. A ses côtés, une femme plus jeune, presque rousse, avec une jupe fluide qui marque la forme de sa cuisse. Elle désignerait à l’intention de sa petite fille l’endroit ou poser son regard. La petite fille y trouverait un grand plaisir et tendrait à son tour le doigt dans l’espace. Alors il vaut mieux remettre le décor. Face au front de mer, devant chez Nanni, il y a Robert Legrand qui achète des glaces et même si son nom semble européen, c’est bien celui d’un Américain. D’ailleurs, est-ce qu’on peut être le chef de la CIA si on n’est pas Américain ? Robert Legrand avec sa fille Lila et sa femme, Addison, la femme du chef de la CIA pour un pays méditerranéen et en vacances dans ce pays sucré et qu’elle découvre, la France.

Lila prend sa glace des mains de Nanni qui chante. Robert met la monnaie dans sa poche et la main sur l’épaule de sa femme. La foule se presse vers l’Ouest mais les deux hommes à lunette sont sans hâte. Ils sont à peine à trois mètres de Legrand. Ils avancent encore et dans le même mouvement sortent de leur dos de gros revolvers plats et froids qui hurlent en même temps et déchirent le corps de l’Américain.

Il y a le silence des passants. Seuls les deux hommes avancent encore tandis que Robert Legrand voit les palmiers se hausser, grandir pour l’écraser. Il fait entendre des cris précipités et qui s’étouffent. Le plus âgé des deux hommes saisit Lila et sa mère qu’il écarte de celui qui râle au sol, l’autre tire deux balles dans la tête du chef de la CIA.

Alors Addison Legrand redevient une personne. Tout se passe autour d’elle et de son cri. Le cri annonce la mort et reçoit l’onde de la mort, il reprend et s’éteint pour ressurgir aussitôt. Lila ne crie pas mais regarde. S’il fallait à nouveau écarter, la ville, les figurants, le décor, on verrait le corps sur le sol et les deux filles, la grande et la petite éperdument seules. Au même moment, les tueurs, il faut bien les appeler ainsi, sauteraient à l’arrière de motos qui les attendaient. Ce serait juste avant que toute la police de la côte, du département et bientôt du pays tout entier arrive avec les gyrophares, les ambulances et les officiels. On protègerait la scène du crime pleine de glace fondue et de débris de cornets mêlés à des flaques de sang. Tout se passerait deux minutes à peine avant que les télés du monde entier annoncent l’assassinat de Robert Legrand, chef de la CIA sous les yeux de sa femme Addison et de sa petite fille, en vacances en France.

 

 

Croyez-moi sur parole, l’idée même de l’exécution d’un homme me révolte. Je n’évoquerai donc pas de cause qui puisse l’expliquer. Mais on est loin désormais de la station Invalides et d’un pigeon plumé. Á plus tard.

 

 

 © jpr 10 juillet 2013

 

4 juillet 2013

Le pigeon (5)

Je vis au jour le jour – Qui sait ce que le lendemain nous réserve

Odysseus Elitis

 

Ecouter Angélique Ionatos dire et chanter I néfèli, c’est entendre Anna.

Pour parler en un temps chaotique il nous faut des munitions.

Pour ceux qui ne connaissent pas la voix de la chanteuse, c’est très particulier. Je ne peux pas leur expliquer autrement que par le son de l’eau qui se retire sur le sable et, je prends une image modeste, qui va bien pour un petit patelin comme ici : par la chaleur, la nuit, près du feu, sur la plage, et de se parler bas à l’oreille, en dansant serré aussi. Je vous dis que, Anna,  j’aurais pu l’aimer au premier regard, seulement, voilà, on n’est pas dans une histoire qui va très vite. Il va falloir attendre. Ceux qui s’ennuient sont déjà partis. Les autres patientent. Je ne veux punir personne, mais il faut qu’on parle : il  y a parmi vous des esprits critiques, qui me harcèlent à propos de détails, comme la couleur des espadrilles du jeune grec. Je ne pouvais pas vous demander de lui enfiler des santiags, pour le voir rouler du cul sur le boulevard, façon Macadam coboille, ou des doc martens dix yeux couleur yellow (pas du tout son genre), ou encore, et même Demis Roussos aurait l’air empêché là-dedans, des moon boots en gazon vert, poil synthétique,  ou pire encore, des spartiates  en pneu.

C’est vrai que l’époque n’est pas romantique, mais enfin, les lecteurs n’ont pas à se mêler du récit. C’est l’avantage de la web-écriture, on peut quitter. Tandis qu’avec un bouquin, va lui dire à l’auteur que des espadrilles bleues c’est pas la classe. Le bouquin, tu l’as payé, tu l’as !

Maintenant, je vais être obligé de faire un virage, pour revenir au récit.

Anatolios, on lui colle  une paire de chaussures en plastoque, noires avec fermeture éclair au-dessus, modèle indestructible, et pas chères les deux. J’en ai bien eu moi. Est-ce que ça m’a empêché d’être un héros de roman ? Non, et je peux le prouver.

Alors une deux, une deux, mon petit grec on avance. Je te plains : avec des pieds genre scaphandrier, ça sera pas pratique pour le sirtaki, mais voilà on n’est pas là pour s’amuser, il paraît. Encore une remarque comme ça et je ferme la boutique. Tout le monde habillé en kaki et on défile, les lecteurs avec. En avant la musique !

Anna a décidé que mon nom ce doit être Eli. J’accepte, juste pour rester près d’elle et pour connaître la suite.

On a un souci avec nos étudiants. Ils vont harceler les anciens de la junte. De temps en temps, ils sont embarqués par la police. Mais, pas une plainte, pas une main-courante qui les concerne. Moins ils sont poursuivis, plus ils continuent, plus ils s’approchent.

Plus ils s’approchent, mieux ils voient leurs adversaires. Réciproquement, les autres les voient. Ils ne sont pas tous sans défense.

Voilà pour aujourd’hui. Pardon pour le détour par le produit chaussant.

 

Les figurants, vous pouvez vous changer. Tolios, va mettre des mules  ou  desserre la fermeture en attendant demain, c’est pas du tout aéré, tes méduses. Je sais de quoi je parle.

 

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