Soldat inconnu
Le buffet de la gare a été démoli
Il fallait peut-être faire table rase
Dans les décombres, un tas d'ennui
Des poutres, du passé, de la pierre
Une fenêtre malgré tout reste éclairée
Derrière la vitre, un soldat inconnu
Il est de retour et sa femme
ne l'attend plus
Je ne sais à qui en parler
Personne ne veut savoir
Un gamin venu au moins de Bosnie,
Avec un chapeau Panama
Ne veut pas croire à mon histoire
Un couple d'âge certain sur une moto
soviétique passe son chemin
Je croise le regard du soldat inconnu
A travers la fenêtre
Triste bien sûr de ses blessures
Triste de sa longue absence
Triste de n'avoir pas été
plus longtemps attendu
Je croise le regard du soldat inconnu
Sur le trottoir, une dame compulsive
tape sur son portable le numéro de Dieu
- C'est un faux numéro, vous n'avez plus de forfait
essayez les urgences, lui crie le soldat
Aussitôt je le reconnais
- Vous êtes l'homme de l'horloge parlante !
C'est votre voix, c'est votre regard
Vous êtes tout ce que je j'imaginais
Le soldat a un beau sourire
Un beau sourire un peu perdu
Un beau sourire qui gagne à être connu
Entre temps la dame a joint son correspondant
Elle s'éloigne en minaudant
Le soldat et moi nous nous saluons
Dans le reflet nos gestes se répondent
Lui et moi n'en avons plus pour très longtemps
Je ranime la flamme de mon briquet
Derrière la fenêtre désormais aussi noire
que feu le buffet de la gare
je le devine
Je devine son sourire aussi
Demain la grue emportera les débris
Et qui voudrait me croire ?